NFTs et garantie d’authenticité

Par Hélène Dupin

Avocate à la Cour, Fondatrice du cabinet HDA, Rapporteur de la Commission Droit d’auteur du groupe de travail “NFTs et marché de l’art” de l’Institut Art & Droit

(Contribution aux actes du colloque)

Les NFTs ont fait naître chez certains l’espoir de résoudre les problèmes liés à l’authentification des œuvres d’art : dans le rapport remis au CSPLA, Jean Martin notait ainsi que « le jeton non fongible pourrait porter la promesse d’authentifier les œuvres de manière plus satisfaisante. »[1] De nombreuses start-ups proposent ou développent en effet des solutions d’authentification d’œuvres d’art fondées sur l’usage de certificats inscrits dans la blockchain, dont le caractère « infalsifiable » est parfois hâtivement assimilé à une garantie d’infaillibilité. 

L’expérience des authentificateurs d’œuvres d’art montre qu’il existe traditionnellement quatre types de configurations : des œuvres authentiques avec un vrai certificat, des œuvres authentiques avec un faux certificat, des œuvres fausses avec un vrai certificat, et des œuvres fausses avec faux certificats. La réflexion sur ces nouvelles technologies d’authentification des œuvres d’art ne peut donc être cantonnée à la seule question de l’authenticité du certificat.  

Trois enjeux centraux ont été identifiés par le groupe de travail pour évaluer les perspectives offertes par les certificats NFT : l’identité de la personne qui certifie (1), la garantie du lien entre le certificat et l’œuvre certifiée (2) et l’intangibilité du certificat (3).

 

1.       L’Identité de la personne qui certifie

La fiabilité de l’authentification, au-delà des supports techniques sur laquelle elle s’appuie, est essentiellement fondée sur l’expertise et la crédibilité de la personne ou de l’entité qui la réalise. Le risque que des certificats soient émis par des personnes incompétentes ou poursuivant un but frauduleux n’est pas éliminé par la technologie blockchain dans la mesure où le caractère infalsifiable et transparent du registre blockchain n’empêche nullement d’y inscrire des informations fausses, ce que le rapport Martin a relevé : « les jetons non fongibles sont technologiquement neutres, et donc, à l’heure actuelle, susceptibles d’avoir pour objet des faux. »[2]

Il faut donc souligner que, bien qu’étant fréquemment mis en avant par les sociétés commercialisant des solutions d’authentification, le caractère infalsifiable n’apporte aucune garantie lorsque l’inscription dans la blockchain est réalisée pour une œuvre qui n’est pas authentique à l’origine : faux en matière artistique, contrefaçon, simple reproduction sans valeur qui ne serait pas l’original unique mais une reproduction parmi d’autres sans qu’elle soit signalée comme telle…

Si ce constat appelle à la prudence, les membres du groupe de travail se sont accordés pour considérer que l’intérêt de ces techniques était en réalité variable selon le type de certificat dont il s’agit et son émetteur. Les discussions au sein du groupe de travail ont permis d’établir une distinction entre deux types de situation.

Lorsque le certificat d’authenticité inscrit dans la blockchain est émis dès l’origine par l’artiste lui-même ou une personne qu’il agrée pour une nouvelle œuvre qu’il créée, cela peut lui permettre de suivre le parcours de l’œuvre, d’exercer ses droits comme le droit de suite et de remédier aux cas dans lesquels il aurait un doute sur sa paternité. C’est le cas dans lequel l’usage de certificats NFTs paraît le plus prometteur, sous réserve de garantir le lien entre l’œuvre et le certificat. Même dans l’hypothèse où l’identité serait vérifiée, tout risque d’atteinte ou de fraude ne peut être écarté dans la mesure où l’artiste peut enregistrer une œuvre composite s’avérant contrefaisante car réalisée sans l’accord de l’auteur de l’œuvre première.

En revanche, l’utilisation de certificats NFTs semble plus problématique lorsqu’ils sont émis par des tiers sur des œuvres préexistantes, surtout en l’absence de vérification préalable de la compétence de l’émetteur du certificat et du sérieux des information entrées dans la blockchain.

 

2.       Le lien entre l’œuvre et le certificat

Garantir la pérennité du lien entre l’œuvre et le certificat NFT est un point particulièrement central et délicat car il ne semble en l’état pas y avoir de solution technique infaillible. Les QR codes qui pourraient être apposés sur l’œuvre restent duplicables ou remplaçables, et peut-être même plus aisément que des certificats papier comportant des éléments manuscrits.  Un marquage irréversible de l’œuvre certifiée peut être envisagé mais cette solution poserait un problème d’altération de l’œuvre si le marquage est visible.  

Même lorsque le certificat est émis par l’artiste lui-même, il existe toujours un risque de substitution d’une œuvre non authentique à l’œuvre initiale au cours des transactions, sauf à ce que l’artiste choisisse d’intégrer un élément de certification pérenne dans l’œuvre elle-même, par exemple en y intégrant un QR code plus ou moins dissimulé aux motifs de l’œuvre.

C’est la raison pour laquelle les certificats NFTs apparaissent plus adaptés aux œuvres « nativement numériques », c’est-à-dire pour les œuvres conçues par l’artiste comme des œuvres numériques, que pour les œuvres conçues sur support physique traditionnel. Les œuvres « nativement numériques » pourraient en effet porter un marquage plus sécurisé en étant intégré à l’œuvre par l’artiste dès l’origine, ce qui peut en outre permettre de se passer d’un marquage risquant de porter atteinte à l’intégrité de l’œuvre.

 

3.       L’intangibilité du certificat 

S’agissant de l’intangibilité du certificat, il est rappelé que les NFTs ne peuvent, en principe, pas être supprimés si cela n’est pas prévu dans le smart contract initial. Même le « burn » du NFT ne permet pas de supprimer toute trace de celui-ci.

 

L’usage de la blockchain dans la certification pose de ce fait la question du remplacement de l’appréciation humaine de l’authenticité par une chaîne automatisée impossible à modifier si cela n’a pas été prévu à l’origine dans le smart contract. En effet, l’émission ou la réémission de certificats résulte pour le moment d’un travail approfondi d’analyse effectué notamment par les comités d’artistes, qui vérifient les certificats antérieurement émis à chaque examen d’une œuvre. Dans ce cadre, les comités vérifient le lien entre le certificat et l’œuvre soumise ainsi que la provenance et peuvent réactualiser les informations voire les attributions et avis en cas de nouvelles informations rendant cette révision nécessaire[3].

 

L’infalsifiabilité garantie par la blockchain semble peu adaptée au caractère évolutif des connaissances dans la mesure où elle pourrait conduire, si rien n’est prévu pour permettre une intervention humaine adéquate, à pérenniser des erreurs d’attribution ou à empêcher de revenir sur des authentifications antérieures alors que cela serait nécessaire au vu de nouvelles informations.

 

A cela s’ajoute le problème du piratage, qui peut porter sur les wallets des utilisateurs pour se faire attribuer les certificats d’authenticité d’autrui, les enjeux financiers de l’attribution des œuvres d’art étant de toute évidence suffisants pour attirer autant la convoitise des pirates que celle des traditionnels faussaires.  

 

 

En conclusion, l’application de la technologie blockchain au domaine de l’art et en particulier à l’authentification des œuvres est encore émergente et ne semble pour le moment pas prendre suffisamment en compte les enjeux spécifiques de la matière pour garantir une lutte efficace contre les faux et assurer la sécurité du marché de l’art. Pour remédier à ces carences, la principale piste envisagée par le groupe de travail est celle de l’intervention d’un « tiers de confiance » dans ce mécanisme d’authentification, visant à garantir la fiabilité des informations entrées dans la blockchain et l’identité du certificateur.

 

En effet, la vente d’œuvres d’art par des commissaires-priseurs apporte certaines garanties minimales qui ne sont pour le moment pas apportées par les plateformes de ventes de NFTs. La chute des transactions sur OpenSea à la suite d’annonces révélant le caractère contrefaisant de la grande majorité des NFTs échangés est ainsi un exemple symptomatique d’un manque de confiance sur ce marché[4], alors que la confiance dans la qualité des biens échangés est le préalable indispensable au développement de tout marché solide[5].

 

Cette conclusion est évidemment paradoxale : alors que l’usage de la blockchain, dont la décentralisation est une caractéristique essentielle, vise en principe à abolir les intermédiaires, son application à la certification des œuvres d’art semble aujourd’hui difficilement crédible sans implication de tiers de confiance.


[1] J. Martin et P. Hot, Sécuriser le cadre juridique pour libérer les usages, rapport de la mission sur les jetons non fongibles confiée par le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), juillet 2022, p. 20-21.

[2] J. Martin et P. Hot., op.cit., p. 20.

[3] H. Dupin et P. Hutt, La protection des comités d’artistes, in Liber amicorum en l’honneur de François Duret-Robert, Editions du Cosmogone/Institut Art & Droit, juin 2021.

[4] A. Lucina., OpenSea: Plus de 80% des NFT créés gratuitement seraient des faux, des plagiats ou des spams, 20 Minutes, 3/02/2022, https://www.20minutes.fr/high-tech/3227891-20220202-nft-sur-opensea-plus-de-80-des-oeuvres-creees-sont-des-fraudes-ou-du-plagiat (dernière consultation le 1/02/2023 à 17h).

[5] G.A. Akerlof, The Market for “Lemons”: Quality Uncertainty and the Market Mechanism, The Quarterly Journal of Economics, Yale University Press, Vol. 84, No. 3, Aug., 1970, p. 488-50.

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