Préparer une succession d’artiste sereine

Article publié dans la Gazette Drouot le 4 juillet 2025

Par Hélène Dupin et Pierre Hutt

Malgré la complexité et la charge symbolique des successions d’artiste, une bonne anticipation des écueils peut faciliter une transmission apaisée.

Les successions d’artistes visuels comprennent non seulement des biens ordinaires, comme des biens immobiliers ou simples « meubles meublants », mais aussi et surtout des composantes spécifiques : les oeuvres du fonds d’atelier, les droits d’auteur, les archives de l’artiste… Lorsque la complexité propre aux patrimoines artistiques est ignorée et qu’elle est aggravée par des difficultés familiales, les tensions risquent de dégénérer en blocages ou contentieux préjudiciables à l’œuvre.

Pour aider les personnes concernées à prévenir de telles situations, hélas fréquentes en pratique, il peut être utile de se référer à une succession d’artiste « idéale », et mettre ainsi en évidence quelques points sur lesquels des décisions éclairées de l’artiste ou de ses ayants droit sont souvent décisives.

La préparation de la transmission par l’artiste

Le préalable indispensable à la transmission réussie du patrimoine artistique est une réflexion approfondie de l’artiste sur ses priorités pour la gestion future de son oeuvre, ainsi que sur les personnes et moyens susceptibles de prolonger son rôle. Cette réflexion étant souvent évolutive, il n’est jamais trop tôt pour l’initier.

Si l’artiste peut nourrir sa réflexion avec des publications explicatives dédiées, comme le guide de l’Adagp sur les successions d’artistes, il est vivement conseillé de faire appel à des professionnels du droit tels que notaires et avocats avant de la traduire en décisions, pour vérifier que le schéma souhaité pourra être concrétisé. À titre d’exemple, il est indispensable de s’assurer que l’obligation de respecter la réserve héréditaire ou les conséquences fiscales ne risquent pas de faire échec à la transmission souhaitée.

Consulter des professionnels du droit connaissant les spécificités du domaine de l’art est d’autant plus essentiel que certaines composantes des droits d’auteur doivent faire l’objet de précautions particulières : c’est le cas du droit de suite, qui risque de ne pas être transmis au légataire universel en présence d’héritiers légaux mais peut être légué de façon distincte, ainsi que du droit de divulgation, qui obéit à des règles de transmission spécifiques.

Le rôle du notaire étant particulièrement central, l’artiste peut souhaiter désigner par avance un notaire de confiance pour intervenir dans le règlement de sa future succession. Rien ne s’y oppose, mais il semble que les règles professionnelles des notaires et le libre choix des membres de la succession empêchent de conférer à une telle manifestation de volonté une portée contraignante, ce qui est selon nous regrettable.

Il est en tout cas utile que l’artiste fasse connaître ses intentions sur la gestion future de l’oeuvre, de préférence par écrit. En vue de la divulgation, il est conseillé d’identifier les oeuvres du fonds d’atelier pouvant être exposées et/ou vendues, ainsi que les tirages posthumes pouvant être réalisés le cas échéant. Les instructions peuvent être générales, comme une interdiction de tout tirage posthume, ou au contraire déclinées par catégories d’oeuvres, voire œuvre par œuvre.

L’artiste peut également préparer la gestion future en initiant une structure dédiée à la défense et à la promotion de son œuvre, qui doit être adaptée aux objectifs poursuivis. Plusieurs formes telles que l’association, le fonds de dotation ou plus rarement la fondation sont envisageables, selon les priorités de l’artiste et les moyens disponibles. Il est souvent judicieux de prévoir des donations ou legs à des musées à titre d’alternative ou de complément à la création d’une structure propre.

Certains actes ne pouvant être accomplis que du vivant de l’artiste peuvent parfois contribuer à prévenir de futurs conflits ou à faciliter la transmission envisagée : un mariage pour donner des droits légaux à un ou une partenaire de vie, l’adoption d’un enfant de son conjoint appelé à jouer un rôle important dans l’avenir de l’œuvre, une donation-partage pour faciliter la répartition d’œuvres entre enfants, des présents d’usage pour gratifier des proches…

Prendre des décisions judicieuses sur l’œuvre nécessite souvent qu’il soit répertorié de façon systématique. Établir ou faire établir un premier inventaire est vivement conseillé pour anticiper le sort des différentes catégories d’œuvres et faciliter l’action des futurs héritiers, tant pour l’accomplissement de leurs obligations fiscales que pour servir de base à l’établissement d’un futur catalogue raisonné ou au travail d’un éventuel comité d’authentification.

La facilitation de la succession par les ayants droit

La tâche des ayants droit de l’artiste investis dans la gestion et la protection de l’œuvre sera plus ou moins ardue selon que l’artiste aura ou non aplani certaines difficultés de son vivant : ainsi, les questions de la création d’une structure, des institutions pouvant accueillir des oeuvres, de l’organisation des archives ou de l’établissement d’un catalogue raisonné peuvent avoir déjà trouvé de la part de l'artiste des réponses claires, qui sont alors des guides précieux et incontournables.

Certaines mesures s’imposent d’elles-mêmes aux héritiers, telles que la réalisation d’un inventaire pour l’établissement de la déclaration de succession et le calcul des droits de mutation, dans un délai alors contraint par le calendrier des obligations fiscales. L’évaluation des oeuvres et des droits d’auteur doit s’appuyer sur une bonne connaissance du marché de l’art pour être pertinente : il est ainsi essentiel de tenir compte de l’absence de liquidité du fonds d’atelier, de la notoriété de l’artiste, de l’importance des archives… Une demande de dation en paiement peut être envisagée pour réduire les montants des droits, mais cela suppose un fort intérêt des institutions publiques pour l’œuvre et une préparation adaptée.

Quand les relations au sein de la famille le permettent, les ayants droit peuvent souvent prendre des mesures concertées pour faciliter l’organisation et la gestion de l’œuvre. Ainsi, des mandats voire des cessions définitives de certaines prérogatives peuvent être mis en place lorsque seule une partie des ayants droit souhaite s’investir activement dans le devenir de l’oeuvre, avec l’accord du reste de la succession. L’adhésion à une société de gestion collective de droits d’auteur peut quant à elle favoriser une gestion plus neutre et faciliter le recouvrement de sommes utiles au travail de valorisation effectué par la succession, notamment les sommes dues au titre du droit de suite.

En cas de tensions persistantes, la médiation conventionnelle peut être un moyen de dénouer des difficultés relationnelles autour de l’impératif de défendre l’œuvre. Une bonne communication entre les ayants droit et une stratégie commune sont en effet cruciales pour aborder les discussions avec les partenaires commerciaux de la succession, qui ont généralement besoin d’une forme de concorde entre les héritiers pour sécuriser leur cadre d’intervention et valoriser l’œuvre comme il le mérite. C’est particulièrement nécessaire pour établir un partenariat viable et équilibré avec une galerie prête à promouvoir l’œuvre, par exemple sur le modèle du contrat de collaboration du CPGA (Comité professionnel des galeries d’art).

La réussite de la transmission souhaitée repose ainsi à la fois sur la gestion des relations au sein de la famille, sur les décisions prises par l’artiste puis ses ayants droit ainsi que sur la pertinence de l’accompagnement juridique dont ils ou elles bénéficient à chaque étape.

HÉLÈNE DUPIN ET PIERRE HUTT, AVOCATS ASSOCIÉS AU SEIN DU CABINET HDA, SONT MEMBRES DE L’INSTITUT ART & DROIT

Suivant
Suivant

Colloque “Documenter, organiser et valoriser le fonds d’œuvres d’un artiste : enjeux et stratégie” organisé par l’ADAGP