La protection des comités d’artistes

Par Hélène Dupin et Pierre Hutt

Contribution au “Liber amicorum en l’honneur de François Duret-Robert”, ouvrage collectif de droit de l’art publié par les Editions du Cosmogone sous l’égide de l’Institut Art & Droit

Phénomène relativement récent du marché de l’art, la multiplication des comités d’artistes est une réalité encore imparfaitement appréhendée par le cadre juridique. Cette situation s’explique en partie par le fait que ces instances aujourd’hui au service de l’authentification des œuvres d’art constituent des autorités de fait, qui se sont développées en dehors de toute réglementation spécifique.

Défini par le Professeur Tristan Azzi comme « la structure plus ou moins formelle constituée en vue d’assurer, en accord avec l’artiste ou après son décès, la défense et le rayonnement de son œuvre »[1], le comité d’artiste peut aussi bien adopter une forme juridique définie telle qu’une association ou une fondation, que rester une structure délibérément informelle. Quelle que soit leur forme, ces comités généralement constitués pour défendre l’œuvre et l’héritage moral d’un artiste sont de plus en plus souvent consultés pour délivrer des avis sur l’authenticité des œuvres soumises à leur examen.

Le pouvoir d’authentification des comités d’artistes est fondé essentiellement sur la confiance qui leur est accordée par le marché au vu de leur composition et du sérieux dont ils font preuve. La présence en leur sein d’ayants droit de l’artiste peut constituer un facteur non négligeable de légitimité en raison de la connaissance de l’œuvre qu’ils peuvent avoir ainsi que de leur rôle spécifique dans la lutte contre les faux et contrefaçons, mais elle ne constitue ni une obligation ni un obstacle.

Bien que parfois désignés par le terme « experts », les comités d’artistes ne sont pas assimilables aux experts de ventes qui assistent les commissaires-priseurs dans la description et l’évaluation des lots mis aux enchères. A la différence de ces derniers, ils ne sont pas intéressés financièrement aux transactions et ne poursuivent pas de but lucratif même si certains demandent une contribution aux frais engendrés par leur activité d’authentification.

Les comités d’artistes se rapprochent ainsi davantage des auteurs de catalogue raisonné. Toutefois, s’il est fréquent qu’un ou plusieurs membres du comité soit également auteur du catalogue raisonné des œuvres de l’artiste, ces recoupements ne sont pas systématiques.

Ils s’apparentent plutôt à un ensemble de spécialistes, c’est-à-dire de personnes que la connaissance approfondie de l’œuvre d’un artiste a conduites à émettre des avis faisant autorité. François Duret-Robert a spirituellement qualifié ces spécialistes de « mandarins de l’art » dans l’une de ses « chroniques désinvoltes du marché de l’art », estimant que le poids accordé à leurs opinions leur permettrait de « faire la pluie et le beau temps »[2].    

Si l’importance de leurs avis est incontestable, c’est une vision plus nuancée de la situation des spécialistes et en particulier des comités qui sera ici exposée en contrepoint des positions de François Duret-Robert, dont nous saluons la plume acérée ainsi que la contribution essentielle au droit de l’art malgré des divergences de vues ponctuelles.

Les comités constituent des structures aussi essentielles que menacées dans un contexte où leurs avis, sans cesse sollicités, sont aussi de plus en plus contestés. C’est pourquoi, après avoir montré que les comités d’artistes constituent des structures d’authentification à la fois précieuses et fragiles (I), il conviendra d’examiner dans quelle mesure la nécessité de protéger leur activité doit être prise en compte dans leur régime de responsabilité (II).

 

I.                   Des structures d’authentification précieuses mais fragiles

 

Les comités d’artistes jouent un rôle essentiel pour le marché de l’art (1), mais la pérennité de leur activité d’authentification est menacée à plusieurs titres (2).

 

1)      Une fonction essentielle au fonctionnement du marché de l’art

Les activités des comités ou des structures les abritant peuvent être multiples, selon les missions et l’organisation retenues : élaboration du catalogue raisonné, gestion des droits d’auteur, classement et actualisation des archives, avis sur la conformité d'expositions ou de produits dérivés aux intentions de l’artiste....

L’authentification des œuvres est généralement une activité essentielle des comités mais il ne faut pas oublier qu’elle s’inscrit dans le cadre de la mission globale de défense de l’œuvre et de préservation de la mémoire de l’artiste dont ils sont souvent investis.

Cette activité d’authentification est à double visage : d’une part, la certification de l’authenticité de l’œuvre lorsque l’examen réalisé permet de confirmer l’attribution à l’artiste et, d’autre part, la lutte contre les faux et les contrefaçons lorsque le comité est conduit à exclure l’attribution initiale. Seuls les titulaires des droits d’auteur étant autorisés à agir en justice sur ces fondements[3], cette dernière mission incombe principalement aux ayants droit mais suppose une collaboration étroite avec le comité pour être efficace.

Lorsque le comité est chargé d’informer le propriétaire ou son mandataire qu’une œuvre constitue un faux et/ou une contrefaçon et que les ayants droit s’opposent à sa restitution, il lui incombe de respecter certaines bonnes pratiques pour atténuer l’impact de sa décision car la nouvelle peut être difficile à accepter.

Outre une information suffisamment en amont sur les conséquences d’un avis négatif, le comité doit expliquer en aval les motifs qui sous-tendent ses conclusions. Dans la mesure du possible, ces éléments stylistiques ou historiques sont exprimés dans des termes objectifs : il peut s’agir par exemple de la reprise dénaturante d’éléments d’œuvres originales de l’artiste ou de l’utilisation d’une signature incompatible avec celles employées par l’artiste à la même période.

Séparer les œuvres authentiques des faux et contrefaçons est un rôle indispensable au bon fonctionnement du marché de l’art dans la mesure où un marché solide ne peut se développer que si ses acteurs disposent d’une information fiable sur la qualité des biens qui y sont échangés[4]. La confiance dans l’authenticité des œuvres constitue ainsi un préalable à la réalisation de transactions créatrices de valeur.

Cet intérêt commun devrait motiver une collaboration renforcée entre les comités et les intermédiaires tels que marchands et commissaires-priseurs. Cela suppose, d’une part, un effort de professionnalisation des comités pour suivre une procédure d’authentification rigoureuse et motiver leurs avis, et d’autre part, un effort de coopération et de transparence des intermédiaires pour documenter la provenance des œuvres, responsabiliser leurs clients et contribuer ainsi à retirer du marché les œuvres inauthentiques. Il est par ailleurs essentiel que les comportements abusifs de certains comités, heureusement minoritaires, tels que la délivrance d’avis légers ou motivés par un intérêt personnel, soient sanctionnés.

Une telle collaboration s’avère d’autant plus nécessaire que les professionnels du marché de l’art s’appuient de plus en plus sur les comités d’artistes, alors que la pérennité de ces derniers se trouve confrontée à de sérieuses menaces.

 

2)      Une activité menacée

La reconnaissance d’une autorité particulière sur un artiste s’accompagne d’une tendance des acteurs du marché à faire peser sur les comités une part croissante de la charge des authentifications. Ce phénomène, qui peut notamment s’expliquer par le fait que les experts généralistes ne disposent pas d’une connaissance aussi approfondie de l’œuvre d’un artiste spécifique, résulte plus largement d’une stratégie de certains opérateurs de ventes[5].

Or, ce jeu pourrait s’avérer dangereux pour les comités et, à terme, contre-productif pour les opérateurs de ventes car les comités d’artistes sont généralement des petites structures aux ressources financières restreintes, qui ne sont pas armées pour supporter les conséquences d’une responsabilité alourdie.

L’on peut à cet égard relever que le régime de responsabilité des opérateurs de ventes est, par certains aspects, déjà moins lourd que celui des autres acteurs intervenant dans l’authentification des œuvres d’art : ainsi, l’article L. 321-17 du code de commerce prévoit que les actions dirigées à l’encontre des opérateurs de ventes se prescrivent par cinq ans à compter de l’adjudication, et non à compter de la découverte du vice. Le report de la responsabilité des opérateurs de ventes sur les experts de ventes puis sur les comités ne nous paraît pas justifié car il revient à transférer la responsabilité d’acteurs financièrement solides vers d'autres qui le sont moins.

Le risque d’une disparition des principaux comités d’artistes s’est déjà réalisé aux Etats-Unis, où les structures qui authentifiaient les œuvres de Krasner et Pollock, Basquiat, Lichtenstein ainsi que Warhol ont dû cesser leurs activités en raison de leur incapacité à faire face aux frais engendrés par les poursuites judiciaires[6]. Pour tenter de résoudre la crise causée par cette disparition, un projet de loi visant à encadrer l’engagement de la responsabilité des « authentificateurs » avait été déposé dans l’Etat de New York mais n’a pas été adopté malgré l’intérêt d’une intervention législative dans ce domaine.

Il convient de noter que les propriétaires déçus pourraient être tentés d’outrepasser le champ de la responsabilité civile traditionnelle en invoquant des arguments tirés du droit de la concurrence. Si aucune condamnation ne semble avoir été prononcée sur ce fondement en France jusqu’à présent, le sujet de l’application du droit de la concurrence aux comités est discuté[7].

La jurisprudence européenne retient une définition large de la notion d’entreprise qui fonde l’applicabilité du droit de la concurrence, à savoir « toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement »[8]. Cependant, bien que la délivrance d’avis sur l’authenticité ait des répercussions sur le marché de l’art, l’intervention des comités obéit à des logiques étrangères à la sphère économique telles que la défense de l’œuvre et de l’héritage moral de l’artiste.

En outre, les œuvres d’art ne peuvent pas être envisagées de la même façon que les biens de consommation, qui sont produits en masse et substituables à d’autres. En effet, les œuvres d’art sont des objets culturels complexes qui émanent d’un artiste unique et ne sont pas substituables entre eux ; il y a une seule origine possible pour une œuvre authentique, à savoir l’artiste. Le rôle du comité d’artiste est précisément de prolonger l’action de l’artiste, et les acteurs du marché souhaitent généralement s’adresser à un interlocuteur unique dont la légitimité et la fiabilité ont été établies.

Dans ce contexte, la transposition rigide dans le domaine de l’authentification de principes du droit de la concurrence développés pour des secteurs étrangers au marché de l’art pourrait conduire à des contresens. Les comités, lorsqu’ils effectuent un travail conforme à leurs missions, contribuent à un bon fonctionnement du marché en fournissant à moindre coût une information de qualité sur l’authenticité. L’on peut également relever, d’une part, que ni les ayants droit ni les comités ne disposent d’une exclusivité[9], et d’autre part que l’existence d’un nombre restreint d’acteurs fiables peut parfois être souhaitable[10]

Ces risques justifient d’examiner si la nécessité de protéger le travail d’authentification des comités est suffisamment prise en compte dans l’appréciation de leur responsabilité.

 

II.                Une nécessaire protection des comités en matière de responsabilité

 

L’impératif de protection des comités d’artistes est une donnée à prendre en compte dans la détermination de leur régime de responsabilité (1), et pourrait se matérialiser en particulier dans la reconnaissance d’un droit au doute et d’un droit de révision (2).

 

1.      Un régime de responsabilité en cours de construction

La responsabilité des comités d’artistes est encore soumise à des incertitudes en raison de la rareté de la jurisprudence. Si certaines décisions rendues en matière de responsabilité des spécialistes et des auteurs de catalogue raisonné peuvent fournir un éclairage utile, peu de décisions se sont spécifiquement penchées sur la responsabilité de comités d’artistes.

La jurisprudence semble exiger une faute pour engager la responsabilité d’un comité, conformément aux principes de la responsabilité délictuelle. Ainsi, dans une affaire qui concernait la délivrance par le comité Chagall d’un certificat d’authenticité pour une œuvre qui comportait la mention « reproduction », non visible car le décadrage n’était pas encore systématiquement exigé, le tribunal n’a pas considéré que le simple fait de s’être trompé aurait suffi à engager la responsabilité du comité[11].

Dans une affaire plus récente, Claude Picasso avait fourni un avis très réservé sur une œuvre, qu’il a refusé de certifier mais dont l’authenticité a finalement été admise à l’issue d’une expertise judiciaire. Or, la cour d’appel a estimé que sa responsabilité ne pouvait être recherchée « en l’absence d’erreur grossière et de preuve d’une intention délibérée de nuire ou d’une mauvaise foi évidente »[12].

L’exigence d’une faute est, en matière contractuelle, le corollaire d’une obligation de moyens fondée sur l’existence d’un fort aléa. François Duret-Robert ne partage pas cette analyse, estimant que la jurisprudence assimile la responsabilité des spécialistes à celle des experts généralistes et que ces experts ont une obligation de résultat lorsqu’ils délivrent un certificat d’authenticité. Il se réfère à l’affaire Picasso de 2017, considérant que les termes employés par la cour évoquent certes une obligation de moyens mais « qu’il n’est pas certain que la cour aurait adopté une position identique si Claude Picasso avait délivré un certificat pour un tableau qui se serait révélé faux »[13].

Outre le fait que ce raisonnement soit hypothétique, l’on peut objecter que la délivrance d’un certificat pour une œuvre non authentique était précisément l’hypothèse du jugement Chagall précité, et que la responsabilité de « l’authentificateur » y avait été écartée alors que l’erreur commise était indéniable. Il reste donc permis de considérer que les comités sont soumis à une obligation de moyens.

La jurisprudence sur les comités étant encore lacunaire, le débat reste ouvert. Or, si le rapprochement des comités d’artistes avec les spécialistes est évidemment pertinent, l’assimilation aux experts de ventes n’apparaît pas justifiée. En effet, à la différence des experts intervenant à la demande des opérateurs de ventes pour garantir l’authenticité des œuvres vendues, qui interviennent dans l’évaluation des lots, perçoivent une rémunération sous forme de pourcentage du prix de vente et sont couverts par une assurance obligatoire, les comités ne se prononcent pas sur la valeur financière des œuvres et ne sont en aucun cas intéressés aux ventes, dont ils n’ont d’ailleurs pas nécessairement connaissance.

L’avis des spécialistes, qui doit de toute évidence être étayé par un travail d’analyse approfondi, demeure pour nous un avis donné en l’état des connaissances disponibles et qui suppose une certaine liberté même lorsqu‘un certificat d’authenticité est délivré.

Pour affirmer que les spécialistes seraient soumis à une obligation de résultat dès lors qu’ils délivrent un certificat, François Duret-Robert s’appuie sur un arrêt dans lequel la cour d’appel de Paris a condamné un spécialiste de Malevitch qui avait délivré un certificat pour une œuvre finalement considérée comme inauthentique, estimant que « la discussion entretenue par ce dernier sur sa qualité d'expert est vaine, dès lors qu’il n'existe aucune réglementation de cette activité et que celui qui certifie sans réserve l’authenticité d'une œuvre d’art, qu’il se prétende expert ou pas, engage sa responsabilité sur cette seule affirmation »[14].

Si cette décision est en effet troublante, il s’agit d’un arrêt isolé ; il est donc difficile de se prononcer sur la portée de ce que François Duret-Robert considère comme un revirement de jurisprudence[15]. Les faits du litige jouent un rôle qui n’est pas à négliger s’agissant d’une décision des juges du fond : le spécialiste en question avait tenté de se disculper en prétendant, sans en justifier, que l’œuvre vendue n’était peut-être pas celle qu’il avait examinée et en suggérant « qu’il n’avait pas la compétence nécessaire » pour se prononcer. La légèreté de cette argumentation pourrait donc expliquer la sévérité des juges, et l’on peut souhaiter que la jurisprudence revienne à une appréciation plus nuancée.

Quoi qu’il en soit, les divergences avec François Duret-Robert sont sans doute moins profondes qu’il n’y paraît. Nous partageons notamment le constat selon lequel il convient d’éviter les confusions entre spécialistes et experts de vente[16], et nous nous rejoignons pour considérer que le critère de l’existence d’une vente n’est pas pertinent pour apprécier la responsabilité des spécialistes. François Duret-Robert fait en effet valoir à juste titre que la règle selon laquelle un sachant engagerait davantage sa responsabilité lorsqu’il s’est prononcé à l’occasion d’une vente[17] est dépourvue d’assise légale hors le cas spécifique des experts de ventes[18].

Au cœur de la question de la responsabilité des comités d’artistes se trouve la possibilité de refuser de certifier une œuvre douteuse et celle de réviser un avis après sa délivrance.

 

2.      Vers un droit au doute et un droit de révision

Le droit au doute, c’est-à-dire le droit pour un comité de refuser de certifier l’authenticité d’une œuvre lorsqu’il ne dispose pas d’informations suffisantes, semble déjà esquissé en jurisprudence. Il est justifié par la liberté d’expression[19] ainsi que par des incertitudes notamment traduites par la mention « attribuée à » du décret Marcus[20].

La cour d’appel de Paris a considéré en 2009 que le Comité Chagall n’était pas tenu de certifier une œuvre comme son propriétaire tentait de l’y contraindre, énonçant que le Comité disposait « du droit d’admettre ou de refuser d’authentifier comme étant de Marc Chagall une peinture qui serait supposée devoir lui être attribuée »[21]. Cette affaire était particulière car une expertise judiciaire avait eu lieu, mais la généralité des termes choisis semble accréditer un droit à refuser la certification d’une œuvre, sous réserve d’éventuels abus.

Le droit au doute apparaît plus clairement dans l’arrêt Picasso de 2017[22], dans lequel les juges ont estimé que la responsabilité de Claude Picasso ne pouvait être recherchée au titre de son refus de certifier une œuvre finalement reconnue authentique car « il n’avait pas affirmé qu’il s’agissait d’un faux » et avait seulement « émis des doutes circonstanciés ».

La question du droit pour un comité de réviser un avis en présence d’éléments nouveaux est plus délicate. La formulation « droit à révision » paraît plus appropriée que celle de « droit à l’erreur ». En effet, l’expression se réfère à des situations où une information nouvelle justifie de revenir sur un avis pour tenir compte du nouvel état des connaissances, et non à l’émission inconséquente d’avis erronés.

Ainsi défini, le droit à révision est en réalité autant un devoir qu’un droit pour le comité puisque l’évolution des connaissances peut parfois commander au comité d’artiste diligent et soucieux de la véracité de ses avis de les réévaluer.

Un comité consulté à quelques années d’intervalle au sujet de la même œuvre, qui aurait acquis la conviction que l’œuvre pour laquelle il avait délivré un certificat ne pouvait pas être authentique à la suite d’une information nouvelle, devrait selon nous pouvoir revoir sa position sans être considéré comme fautif s’il fait preuve de sérieux et de transparence. Or, dans le cadre d’une jurisprudence considérant que la délivrance d’un certificat erroné engagerait automatiquement sa responsabilité, le comité d’artiste qui signalerait le défaut d’authenticité finalement constaté risquerait fort de documenter sa propre condamnation...

Si le droit à révision ne semble pas encore être de droit positif, certaines décisions récentes pourraient indiquer que la jurisprudence serait prête à évoluer dans ce sens. C’est notamment le cas de l’arrêt rendu le 9 juin 2020 par la cour d’appel de Paris dans une affaire Van Dongen[23].

Dans cette affaire, le propriétaire d’une œuvre attribuée à Van Dongen avait renoncé à la vendre et l’avait restituée à la personne dont il la tenait, après s’être heurté à un refus du comité de l’inclure au catalogue raisonné préparé sous l’égide de l’Institut Wildenstein. Il s’est aperçu quelques années plus tard que l’œuvre avait été vendue accompagnée d’un avis favorable à la citation de l’œuvre au catalogue raisonné et a assigné l’Institut Wildenstein.

Le rejet des demandes formées à l’encontre de l’Institut Wildenstein est notamment justifié par le fait que « les connaissances sont évolutives, notamment dans le domaine de l’art », reconnaissance de principe qui n’est pas à négliger bien qu’il s’agisse d’une décision relative à un avis d’inclusion au catalogue raisonné et non à un certificat d’authenticité. La décision relève par ailleurs qu’élaborer un catalogue raisonné nécessite « un travail de documentation et d’analyse approfondie de chacune des œuvres de l’artiste mais également une analyse critique de celles-ci et de l’œuvre globale de l’artiste, qui implique nécessairement une liberté d’appréciation ».

La liberté de réviser un avis devrait selon nous également être reconnue aux comités dans le cadre de leur activité d’authentification, qui implique un travail d’analyse critique comparable à celui des auteurs de catalogue raisonné. Contrairement à cette affaire Van Dongen, dans laquelle les circonstances nouvelles invoquées n’avaient pas été explicitées, il paraît toutefois nécessaire de justifier des raisons qui rendent la révision nécessaire, si tant est que cela s’avère compatible avec les nécessités de la lutte contre les faux et contrefaçons.  

En tout état de cause, l’exercice d’un droit à révision n’est envisageable que pour des comités effectuant un travail rigoureux et dans le cadre d’un usage raisonné, dans la mesure où les comités doivent préserver la confiance qui leur est accordée par le marché. En somme, s’il est souhaitable que les comités d’artistes soient davantage protégés eu égard à l’importance de leurs avis pour l’ensemble du secteur, il leur incombe également de se protéger eux-mêmes en faisant preuve de sérieux et de rigueur dans la délivrance de leurs avis.  


[1] Tristan AZZI, « Les comités d’artistes, approche juridique », Actes du colloque de l’Institut Art & Droit du 11 mai 2016.

[2] François DURET-ROBERT, « Les mandarins de l’art », L’Objet d’art, mars 2018, pp. 22-23.

[3] Cass., crim., 27 mars 2007, Giacometti, no 06-82.113.

[4] George A. AKERLOF, « The Market for “Lemons”: Quality Uncertainty and the Market Mechanism », The Quarterly Journal of Economics, Yale University Press, Vol. 84, No. 3, Aug., 1970, pp. 488-50.

[5] Cf. l’intervention de Stéphanie IBANEZ, directrice juridique de Christie’s France, au colloque précité de l’Institut Art & Droit : « Le point de départ de [la consultation des comités] était motivé par la recherche de l’authenticité et le souhait de se décharger sur les comités de la responsabilité y afférente », p. 38. 

[6] Anne-Sophie NARDON, « La responsabilité des comités en droit américain », Actes du colloque précité, pp. 52-55.

[7] Friederike GRÄFIN VON BRÜHL : « The monopoly power of art experts in the light of antitrust law », in Risques et périls dans l'attribution des œuvres d'art : de la pratique des experts aux aspects juridiques, Schulthess, 2018 ; David LEFRANC, « Les ayants droit d’un artiste défunt ont-ils le droit d’authentifier ses œuvres ? », Propr. intell., 2009, n° 33, pp. 352 et suiv.

[8] CJCE, 23 avril 1991, Höfner et Elser, C-41/90.

[9] TJ Paris, 5/01/2021, Parker c/ Picasso, 17/09832.  

[10] Ainsi, en matière d’organismes de normalisation et de certification, l’Autorité de la concurrence a recommandé de diminuer le nombre des organismes de normalisation et de veiller à la fiabilité des certificateurs avant toute accréditation : Avis 15-A-16 du 16/11/2015.

[11] TGI Paris, Ibre c/ Comité Chagall, 12 mai 1999, no 97/23560.

[12] CA Paris, 18 mai 2017, no 15/18288.

[13] François DURET-ROBERT, Droit du marché de l’art, op. cit., § 233.32.

[14] CA Paris, 22 mars 2005, Lambert c/ Marcade, no 04/05000.

[15] François DURET-ROBERT, Droit du marché de l’art, op. cit., § 221.21.

[16] François DURET-ROBERT, Droit du marché de l’art, op. cit., § 233.31.

[17]Cass. 2e civ., 8 juin 2017, Werner Spies, no 16-14726.

[18] François DURET-ROBERT, « Les mandarins de l’art », op. cit.

[19] Cass. 1ère civ., 22 janvier 2014, Metzinger, n° 12-35264.

[20] Décret n°81-255 du 3 mars 1981.

[21] CA Paris, 6 octobre 2009, Karaev c/ Comité Chagall, no 09/03082.

[22] CA Paris, 18 mai 2017, no 15/18288.

[23] CA Paris, 9 juin 2020, no 17/22420.

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